Paranoïa, où l’Ordinateur est mon Ami

C’est le tour de Paranoïa. Vieux jeu auquel je n’avais encore jamais joué, c’est désormais chose faite grâce à notre table de découverte. Paranoïa a eu plusieurs éditions : première en 1984 pour les Américains, 1986 en France. Nous avons joué à l’édition Post-post-post moderne publiée en 2018 par Sans-Détour qui a relooké le jeu pour être plus conforme à notre époque. En fait, moyennant quelques ajustements mineurs, tout le contenu (ancien et nouveau) est parfaitement transposable à notre époque ou une époque future. J’ai le jeu depuis plusieurs années, mais je ne l’ai jamais fait jouer, ne sachant pas vraiment comment le mettre en scène. Je suis donc très content d’avoir découvert ce jeu.

L’univers

Bien que vieux et plutôt connu pour son genre très décalé, certains ne connaissent pas cet OVNI. Disons-le tout de go : c’est de la science-fiction déjantée. L’univers se réduit au Complexe Alpha, une grande cité-bunker, construite pour sauvegarder l’humanité de la catastrophe en surface, gérée par un ordinateur qui malheureusement souffre de quelques ratés dans le moteur. La société est structurée en castes strictement cloisonnées par un code couleur nommé « accréditation » qui reprend le spectre de la lumière. On va ainsi du citoyen « infrarouge » qui ne peut pas faire grand chose au citoyen « violet » en passant par le rouge, l’orange, le jaune, le bleu, etc. Les PJ sont des citoyens d’accréditation Rouge, donc à peine au-dessus du pékin lambda (qui soit dit en passant est gavé de drogues lui permettant de travailler sans réfléchir, surtout sans réfléchir). Le MJ, quant à lui, revêt l’habit du grand programmateur en tenue « ultraviolette ».

Un citoyen doit se soumettre à un empilement de règles de bonne conduite, absolument vitales. Et je pèse lourdement ce dernier mot. Un Infrarouge ne peut se déplacer que dans les zones peintes en noir par exemple. Un Rouge peut se déplacer dans les zones rouges et noires mais pas jaunes ou vertes par exemple. S’il le fait, il ne doit être vu par personne sinon c’est une trahison avérée. Et toute trahison dans Paranoïa est rapidement punie de mort. Dans cet univers, un vocabulaire châtié est employé : tel citoyen en infraction doit se présenter au centre d’annihilation le plus proche. Bien entendu, les désobéissances abondent…

Comme l’ordinateur dysfonctionne, plein de gens lui en veulent. Plein. Tous appartiennent à des sociétés secrètes complètement illégales mais obéissant à des idéologies différentes et opposées. Du coup, c’est un énorme bordel politique en coulisses. Il y aura des anarchistes, des amoureux des machines ou au contraire ceux qui veulent replacer l’homme tout en haut de la hiérarchie, bien au-dessus de l’Ordinateur.

Alors, qu’est-ce qu’on joue ? C’est là qu’on arrive aux trucs rigolos. Les PJ incarnent des Clarificateurs choisis par l’Ordinateur pour le servir. Mais ils sont également affiliés à une société secrète. Chacun a donc deux objectifs lors des parties : remplir l’objectif de mission et remplir l’objectif secret de sa faction sans se faire prendre par les autres. Comme la parano s’invite partout, tout le monde épie tout le monde et les exécutions sommaires pleuvent. A tel point que chaque personnage dispose de plusieurs clones, histoire qu’un groupe ait tout de même une chance de faire quelque chose. Un nouveau clone ne sait pas ce qu’il est arrivé exactement au précédent. Cela lui permet d’agir normalement et de continuer sa mission. Précisons toutefois qu’il faut éliminer toute rancune entre les joueurs sinon il devient rapidement impossible de jouer. Néanmoins, il faudra plusieurs clones pour venir à bout d’un scénario. Pour sentir le truc, la difficulté des scénarios est mesurée en nombre de clones nécessaires pour l’achever. Les plus difficiles requièrent un nombre de clones supérieur à celui octroyé par l’ordinateur (6)…

Ajoutez à cela que les personnages peuvent avoir des pouvoirs mutants, que ces mutants sont craints et traqués par l’Ordinateur, que les PJ ont des responsabilités mineures que le système leur impose de respecter, que tout est absurde, cynique et impitoyable et vous obtenez une dystopie incroyable qui a marqué des générations de rôlistes. Bref, cela part généralement en grosse rigolade sur fond de coups-bas dans tous les sens. Et n’oubliez pas : l’Ordinateur NE PEUT PAS se tromper (quand bien même il cafouille totalement) !

Le système

Pour une fois, on va s’attarder un moment sur la création de perso dont le processus est à la fois simple, original et parfaitement dans le ton du jeu. Le MJ désigne un joueur (disons le joueur A) qui doit sélectionne une compétence de son choix. Celle-ci reçoit +1… et immédiatement le joueur à la gauche de A reçoit -1 dans la même compétence. On procède ainsi de proche en proche jusqu’à ce qu’un tour complet ait été fait. Puis on recommence avec des +2/-2 jusqu’à +5/-5. Autant dire que dès la création de perso, on aime plus ou moins bien ses voisins !

Pour les tests de compétences, le système est classique. On choisit la compétence appropriée à laquelle s’ajoute le score d’attribut puis on lance autant de D6. Pour chaque test, on lance toujours un D6 dit dé de l’Ordinateur. Tous les dés qui font 5 ou 6 comptent un succès. Si on obtient 6 sur le dé de l’Ordinateur, celui-ci intervient spécialement et à sa manière pour aider le PJ. Parfois, on se demande si on veut être aidé… Bon, si vous avez bien suivi, vous avez déjà remarqué qu’on peut parfaitement avoir un score négatif pour lancer les dés. Comment cela se passe-t-il ? Et bien, on fait comme si le signe ‘-‘ n’existait pas en prenant la valeur absolue de la compétence. Par contre, tous les dés qui font entre 1 et 4 annulent des succès. Le gag, c’est que lors du test, j’ai dû faire un test négatif à -4 que j’ai réussi haut la main. Comme quoi, les statistiques sont là pour déjouer tous les pronostics !

Le système de combat se base sur une initiative déclarative. Chaque joueur annonce quand il veut jouer, en s’appuyant sur une carte parmi un lot distribué aléatoirement par le MJ auxquelles s’ajoutent le pouvoir mutant et les objets de l’équipement. Le truc, c’est que le bluff est autorisé. On peut jouer plus tôt qu’on ne le devrait. Donc on peut dénoncer le bluff avec succès ou bien avoir tort. Une mécanique spécifique (que j’ai oubliée) récompense ou punit alors le délateur.

Le système se complète d’une jauge de sang-froid et d’une autre de trahison. Dans les deux cas, ces jauges sont mortelles pour le personnages. Celle de sang-froid permet de consommer des points de sang-froid pour ajouter des dés aux tests ; mais quand la jauge est pleine, le personnage perd les pédales et cela provoque sa mort. La jauge de trahison va se remplir lorsque le PJ accomplit une action louche aux yeux de l’Ordinateur, qu’il se fasse repérer/juger par le système ou qu’il se fasse dénoncer par un autre joueur. Une fois la jauge de trahison pleine, l’Ordinateur déclare le clone comme étant un Traître. Seul moyen de survivre : rester loin des systèmes de défenses de l’Ordinateur et des autres clones. Comme c’est pratiquement impossible, on dit bonjour à son nouveau clone dans les secondes qui suivent…

Le test

La meneuse de la soirée a choisi le scénario Plus blanc que blanc (remanié par ses soins pour le meilleur) du livre de Missions. Convoqués dans une salle de briefing, un Clarificateur Orange nous a confiés la mission d’enquêter sur le taux d’absentéisme de 100% du secteur PAN. Sur place, un couloir noir avait été repeint en blanc. Je ne vais pas détailler ici les dessous de l’affaire, mais Paranoïa joue avec la difficulté de réaliser des tâches simples dans un monde où le moindre faux pas est immédiatement sanctionné. Avec nos sociétés secrètes respectives, nous avions chacun au moins trois objectifs à accomplir. Nous sommes parvenus à mener la mission à bien, ce qui nous a coûté en moyenne trois clones chacun.

Un mot sur l’édition Post-post-post moderne de Sans-Détour

Pour écrire cet article, j’ai relu rapidement quelques pages des livres de la dernière édition. Et franchement, c’est mauvais. Les livres mettent beaucoup trop l’accent sur l’ambiance déjantée et (trop) impitoyable, en oubliant complètement qu’ils doivent proposer du contenu à faire jouer. Un tout petit exemple : quel intérêt de mettre sur l’écran du MJ qu’un objet est en rupture de stock ? C’est une info à destination des joueurs, mais le MJ doit savoir quoi faire. Les livres sont farcis de blagues, ce qui les rend drôles à lire, mais sans donner la matière nécessaire au meneur pour s’approprier l’univers et dérouler une session correctement.

Autre point qui me gêne : la police de caractère est grosse, ainsi que l’interligne. Cela fait « remplissage », réduit le signage et donne la très désagréable impression que l’objectif principal de cette édition était uniquement mercantile. Pour dire : avec cette édition, Sans-Détour a compilé dans un gros ouvrage intitulé Paranoïa Retrogaming plusieurs vieux suppléments de Paranoïa. Les lire donne une meilleure saveur du jeu que la réédition elle-même !! Si on ajoute la qualité du papier que je trouve moyenne, la coupe est pleine : non, je ne recommande pas l’acquisition de cette édition.

Conclusion

Je râle mais je suis content d’avoir enfin découvert cet OLBI (Objet Ludique Bien-Identifié) car je me demandais vraiment ce que c’était que ce truc. Est-ce que j’y rejouerai ? Pour un one shot, peut-être, car je suis convaincu que le MJ a une importance cruciale sur la manière dont une session de Paranoïa se déroule. Un mode de jeu permet de jouer en campagne, mais j’ai quelques doutes sur sa mise en œuvre. Par contre, en tant que meneur, même si certains points sont plus clairs, je ne me sens pas encore prêt à faire le saut. Pas mal d’efforts me semblent nécessaires pour appréhender le jeu. J’ai trop de projets pour m’y consacrer pour l’heure. Un jour, peut-être, j’endosserai le costume Blanc de l’ultraviolet.

Pour aller plus loin :

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