Polskar, jeu d’expéditions

Polskar est un jeu édité par les Editions dérivantes (plus ou moins une autoédition) et dont la publication est récente puisque les ouvrages ont été livrés au printemps 2023. Le jeu se présente comme un jeu solar-punk, dans un monde qui a subi une catastrophe apocalyptique. De fait, Polskar est un monde fragmenté au sens littéral du terme et cette caractéristique est définitivement l’ADN premier du jeu. L’auteur, Enzo Cavalier, est formé à la géographie et aux risques naturels en montagne. Il y a une certaine logique scientifique derrière l’univers, ce qui n’est pas pour me déplaire. On dit que les meilleurs mensonges sont ceux qui contiennent une part de vérité ; je transpose cela en JdR en disant que les meilleurs univers sont ceux qui contiennent une part de science. Nous avons testé Polskar vendredi dernier, retours !

Un univers fouillé

Polskar est une planète qui a explosé et dont les fragments flottent les uns par rapport aux autres dans les reliquats de son atmosphère et de sa gravité. Les océans se sont vidés, les poussières ont occulté la lumière solaire plongeant le Polskar dans les ténèbres et le froid et poussant les habitants à se réfugier sous terre pour survivre. Bien longtemps plus tard, les humains sont sortis et ont commencé à explorer leur nouvel environnement. Ce pitch post-apocalyptique n’est pas sans me rappeler d’autres jeux, comme Earthdawn, ou le jeu vidéo Arx Fatalis.

Sur Polskar, on trouve plusieurs peuples, chacun correspondant à une évolution de l’humanité confrontée à différents destins, diversifiés selon leur niveau de protection ou exposition aux éléments. Les Abrités sont les plus proches des humains normaux, et les Résistants sont dans une position intermédiaire alors que les Ciselés ont été modifiés par Cryos (i.e. l’incarnation du froid). On trouve aussi les Deïnos, peuple alien, qui communique uniquement par des symboles lumineux (impliquant un roleplay original) et les mythiques Déchus, habitants Polskar avant la Déchirure.

Tout ce beau monde appartient à différentes factions qui, si on reste logique, se superposent globalement aux peuples, mais le jeu permet un maillage plus fin afin de varier les plaisirs. Et justement, une fois qu’on prend tous les éléments et qu’on les entremêle, on se retrouve avec un micmac de territoires et de politique propice à moult scénarios, et ça ne loupe pas. Du coup, Polskar fourmille de possibilités de scénarios et ça tombe bien car il y a un risque de répétition élevé à toujours proposer des expéditions. Alors oui, une expédition peut être montée pour de nombreuses raisons différentes : exploration, approvisionnement, transport, sauvetage, guide, etc. Mais on a toujours une phase de contact et de préparation. Cette dernière partie est typiquement celle qui ne sera rapidement plus jouée à mon avis : on le fait une fois ou deux et après on gagne du temps de jeu pour se concentrer sur les nouveautés des scénarios. Heureusement, comme dit plus haut, avec la géopolitique, il y a plein de moments où le groupe de PJ va se trouver malgré lui à devoir se positionner pour ou contre telle ou telle faction.

La faune aussi a été impactée par la catastrophe. Il y a un bestiaire « normal » adapté aux conditions naturelles spécifiques de Polskar, un bestiaire en lien avec Cryos et un autre encore avec Makina. Cette dernière menace semble être interplanétaire, avec des créatures biomécaniques pullulant dans des jungles luxuriantes, contrastant avec le Vaste moribond normatif de Polskar. La nature sauvage, désolée ou foisonnante, constitue donc un obstacle de premier plan dans toutes les expéditions.

Enfin, dans Polskar, la survie de l’humanité, les luttes sociales, le traitement de l’altérité sont des thèmes majeurs.

Un jeu à secrets ?

Polskar a le potentiel pour être un jeu à secrets. Il y a de nombreux points qui suscitent des interrogations et il pourrait y avoir des révélations majeures. Néanmoins, ce n’est pas le cas. En tout premier lieu, le jeu l’auteur présente le jeu comme une gamme complète. Nous n’aurons a priori aucun développement supplémentaire sur l’envers du décor. Il peut s’agir d’une absence de volonté éditoriale (pour diverses raisons) ou bien simplement une preuve de prudence sur ce sujet là où d’autres jeux se sont plantés. En tout cas, la matière actuelle suffit sans ambages pour jouer de nombreuses aventures. Bien entendu, on a envie de savoir ce qu’il se cache derrière certains peuples, à commencer par les Déchus, ou bien pourquoi la planète a explosé, ce qui est évoqué un peu vite.

Non, le jeu met l’accent sur les expéditions, les voyages, en somme les déplacements d’un point A à un point B. En tout cas, Polskar prévoit la détermination de péripéties de voyage, tout comme le fait le jeu Oltrée! d’ailleurs. La méthode diffère cependant. Je la trouve un peu plus complexe, plus précise aussi, dans Polskar, et surtout à la charge du meneur de prime abord (rien n’empêche de demander aux joueurs de créer l’événement), alors que le jeu de Grümph mettait davantage l’accent sur la créativité des joueurs et la narration partagée. A titre personnel, s’il est intéressant de développer les voyages et les déplacements en JdR, ceux-ci interviennent à cause d’une raison plus importante qui est le cœur du scénario. A trop développer les à-côtés, on en perd le centre ; et je trouve que cela se voit dans l’écriture des scénarios, mais j’y reviens un peu plus loin.

Du côté du système

Le système est très présent dans le jeu. Beaucoup d’aspects sont motorisés. Compagnie, expédition, ressources, contacts, vaisseaux, équipements… La plupart du temps, c’est parfaitement logique et cohérent avec le type d’aventures que le jeu propose. Néanmoins, j’ai un goût un peu amer car je trouve que ça fait trop. Mais bon, c’est mon côté grincheux. Les peuples, les voies, les métiers fournissent tous des capacités spécifiques (vécus, manœuvres et tactiques) qu’il faut choisir à la création, introduisant de fait une bonne variabilité des personnages.

Polskar est motorisé par le système-D. L’idée est de lancer autant de D6 qu’une somme établie entre aspects et compétences. Et il faut faire des combinaisons comme au poker : paire (Facile), brelan (Complexe), full (Difficile), carré (Très difficile). Je trouve que c’est intéressant et j’ai hâte de voir comment cela se déroule en partie. Ce que je note d’ores et déjà c’est qu’un niveau de difficulté Facile a 100% de chances d’être obtenu avec 7 dés. Mais en général à la création, on va plutôt lancer en 4 et 5 dés en moyenne, ce qui rend les choses nettement plus difficiles.

Le MJ peut imposer une difficulté supplémentaire avec l’ajout d’un dé d’adrénaline dont le résultat doit être inclus dans une combinaison. Ceci intervient à chaque fois que la vie du personnage est en jeu. Dit autrement, le joueur doit vaincre DEUX difficultés imposées SIMULTANÉMENT, et cela systématiquement en situation de combat. Comment faire deux combinaisons de poker avec seulement 5 dés par exemple ? C’est évidemment très difficile à accomplir, et le joueur devra certainement faire un choix entre celle des deux difficultés dont il assume l’échec, ce qui se traduira par un état préjudiciable pour le personnage. Je trouve cette mécanique très intéressante. Après, le MJ peut aussi tout aussi bien ne jamais utiliser cette mécanique et imposer arbitrairement certains états. Bref, comme tout système, on peut bricoler à la volée.

Au chapitre de l’organisation des règles, il y a une volonté de grouper des éléments de règles sur une double page (bonne idée !) pour avoir une bonne clarté, mais je constate que cela marche pas toujours. Certains points sont un peu perdus et seront difficiles à retrouver à la volée par le meneur. Il faut prévoir des signets et des aides de jeu. Je pense notamment aux règles de progression des personnages (perdues en début de chapitre sur les carrières), à celles des modes de jeu (noyées dans la table des matières !) ou et quelques autres dont je n’ai plus la mémoire à l’instant. D’autres passages sont parfois un peu nébuleux mais on finit par s’y retrouver. A noter que l’auteur répond très rapidement aux questions que l’on pose sur le Discord des Editions dérivantes.

Du côté des scénarios

De nombreux scénarios sont déjà publiés avec la campagne de financement participatif, plusieurs de l’auteur principal, plusieurs d’autres auteurs. Il s’en dégage une certaine unité d’ensemble. Cette manne est plus que bienvenue et permet de se lancer avec du choix dans l’univers de Polskar. On sent ainsi tout le potentiel du jeu et la variété des scénarios possibles, pas toujours centrés sur des expéditions. Toutefois, pour les avoir tous lus, j’ai noté : des manques de relecture de forme (orthographe), de fond (changement de sexe de personnages !! fins en queue de poisson ! manque de détails sur certaines options), une maquette très propre dans l’ensemble même si j’ai repéré un paragraphe en double à un endroit (sur l’ensemble du nombre de pages publiées, on peut pardonner). Bref, un gros manque de relecture de forme et de fond.

Avec un peu de recul, j’ai l’impression que plusieurs scénarios sont en fait des one shot mortels où l’aspect mortel n’est pas explicite (mais pourquoi ? une ligne, juste une ligne suffit !) en fin de scénario. C’est dommage à mon sens à double titre. Premièrement, l’auteur s’est embêté à développer des prétirés pour les tuer juste après. On aurait pu utiliser cette place pour autre chose et notamment mieux développer les liaisons entre les scènes ou l’implication de personnages. Deuxièmement, one shot n’équivaut pas à la mort des personnages. Je suis vent debout contre cette pseudo-équation que trop de MJ semblent avoir établie dans leur esprit [hum… dans mon test, c’est pourtant bien ce qui s’est produit…]. Un one shot, c’est juste un scénario qui ne donnera pas lieu à une suite jouée. Il peut parfaitement laisser des problématiques en suspens pour une autre session, un jour, éventuellement, si l’envie en prend les parties prenantes, si le coefficient de marée est favorable…

Le test

J’ai beaucoup hésité sur le choix du scénario pour la séance de découverte. Comme dit précédemment, beaucoup souffrent de défauts gênants, certains faciles à corriger, d’autres plus profonds et demandant plus d’efforts. Mon choix s’est finalement porté sur Cargaison glaciale que l’on trouve dans l’ouvrage Recueil d’expéditions. J’ai bricolé un peu le scénario pour le rendre plus logique en remplaçant un combat par un autre, sans doute plus facile mais permettant d’appréhender les règles de combat. Pour gagner du temps, j’ai pris les personnages prétirés du kit d’intro auquel j’ai ajouté un Médicaë, tous avec un profil de Spécialiste.

Le test a montré une bonne réception de l’univers. Les joueurs ont tous réussi à s’approprier leur personnage et à en tirer pari avec les vécus, les manœuvres et les tactiques, bien mieux que ce que je pensais. Toutefois, le groupe n’était pas orienté vers le combat et les événements les ont amenés à rencontrer une créature impitoyable. Je n’avais pas bien anticipé cela sinon j’aurais sûrement changé la bestiole pour une autre un peu moins violente. Conséquence : aucun survivant. J’ai donc dévoilé en fin de session ce que les personnages auraient dû découvrir si les choses s’étaient passées différemment.

Néanmoins, j’ai trouvé la session plaisante. En tout cas, elle m’a permis de cerner certaines difficultés pour les prochaines fois. Nous avons pu nous rendre compte que la préparation d’une expédition est importante (ils l’ont bien réussie) et que les ressources disponibles une fois isolés de tout sont cruciales pour faire la différence entre la réussite et l’échec (cette fois par contre, les ressources ont peu été sollicitées, mais auraient dû l’être davantage).

Les ouvrages

Les ouvrages ont une patte graphique particulière, dont je ne suis pas fan, mais il y a une unité visuelle intéressante et cela donne définitivement une identité au jeu. Il y a aussi de nombreux plans (yes !), de villes, de comptoirs, de continents, de véhicules, aussi bien dans le livre de base que dans les scénarios. Bref, c’est très bien, cela contribue à s’immerger davantage dans l’univers particulier de Polskar. Je pense notamment aux lieux dont la verticalité est importante. Ça change de Nautilus par exemple où on ne dispose pas de cartes cruciales.

De nombreux aspects de l’univers sont plus évoqués que détaillés malgré un livre de base costaud. Je regrette profondément que la gamme soit « fermée » alors qu’il y a à l’évidence de la place pour étendre l’univers à travers un supplément de contexte. Regardons le verre à moitié plein : deux livrets débloqués pendant la campagne de financement participatif développent des aspects un peu légers dans le livre de base (Makina, Porta mundi). Ces livrets sont d’ailleurs bien pensés dans leur structure : univers, ajout de classe, scénario. C’est pourtant encore léger à mon goût, que voulez-vous : je suis exigeant !

Polskid en revanche m’a déçu. Polskar n’est pas un jeu pour les enfants. Les thématiques sont en apparence compatibles (aventure, expéditions), mais en fait, on va vite creuser des thèmes beaucoup plus adultes. Je ne trouve pas non plus le système très adapté à des enfants. Après, comme je l’ai dit dans mon article sur le JdR avec les enfants, l’âge est un paramètre important. Entre un enfant de 6 ans et un autre de 10, ce n’est pas pareil, et je juge selon l’âge de mon propre fils (8 ans au moment où j’écris ces lignes). Néanmoins, je trouve que le supplément enfonce des portes ouvertes sur le JdR avec enfants (durée, etc.) et n’apporte pas la preuve de son adéquation avec ce public, malgré une fiche de perso pour jouer des gamins et un scénario prévu pour des enfants. Le reste de la gamme montre bien que ce n’est pas le cœur du propos. En somme, n’importe quel JdR peut convenir pour des enfants si on respecte quelques règles. Je préfère nettement des jeux développés spécifiquement pour eux, comme Petits détectives de monstres et Petits pirates.

EDIT : après une longue discussion avec mon fils, l’univers de Polskar l’intrigue. Je me rends compte aussi qu’une expédition simple est une mission tout à fait de son âge. Il faut juste freiner sur la politique et les autres problématiques adultes. Le seul point en suspens à ce jour est le système qui revêt une certaine complexité. Je ne vois rien d’insurmontable pour un enfant de 8 ans, reste à voir comme les vécus, manœuvres et tactiques sont gérées.

Conclusion

Polskar est un jeu intéressant avec un univers original, passionnant et foisonnant que je vois personnellement plus comme une V1 que comme un produit complètement abouti. Il manque de finitions. Une nouvelle édition corrigeant/complétant tous les petits défauts me semble nécessaire pour que Polskar atteigne toute sa force. De plus, ce serait l’occasion de compléter la gamme avec un ou plusieurs livres/fascicules sur des peuples ou des secrets de l’univers. Le choix éditorial, assumé par l’auteur, cloue malheureusement les espoirs de développements futurs nous laissant dériver au gré des courants gravitaires dans ce monde évocateur et étrange.

Pour aller plus loin :

  • Les retours des joueurs
  • Interview de l’auteur
  • le Discord des Editions dérivantes
  • Quelques détails sur les règles qui m’ont été éclaircis :
    • Pour une arme : Effrayante : inflige un STRESS en plus de tout autre dégât
    • En combat : la Réactivité est calculée pour tout le combat
    • En combat : le MJ ne lance aucun dé pour les adversaires. Il déclare seulement comment attaque l’adversaire (Corps, Cœur, Esprit) et le PJ doit réaliser une défense adéquate dont la difficulté est celle de l’aspect utilisé par l’adversaire.
    • Dé d’adrénaline : le chiffre donné par le dé d’adrénaline n’impose pas de combo particulière. N’importe quelle combo peut neutraliser ce dé, même une simple paire. Par exemple, si le dé d’adrénaline fait 5, il suffit qu’un autre dé fasse 5 pour que l’adrénaline soit gérée. Il reste néanmoins à réussir l’action avec les dés restants.

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