La science dans le JdR

Comment la science est-elle introduite ou présentée dans le JdR ? Quelle influence a-t-elle sur la narration et l’univers ? La science s’invite plus ou moins dans les JdR, avec son corollaire la technologie. Selon le niveau d’intégration de la science dans l’univers, il faudrait y accorder plus ou moins d’attention. Du coup, on va jeter un œil sur sa relation avec l’univers du jeu puis ensuite avec la narration en partie.

Cette article poursuit l’exploration thématique du JdR entamée avec l’horreur, la survie, l’amour et le sexe.

Quelle science ?

Avant de faire le lien avec le JdR, il faut prendre un peu de recul et considérer les sciences dans leur ensemble. C’est quoi une science ? Plusieurs définitions se côtoient, mais toutes retombent sur la notion de savoirs et de connaissances plus ou moins structurés. Et de fait, les sciences sont nombreuses ! D’après Wikipédia, on distingue trois types de science :

  • les sciences exactes, comprenant les mathématiques et les « sciences mathématisées » comme la physique théorique, où règnent les imparables démonstrations ;
  • les sciences physico-chimiques et expérimentales (sciences de la nature et de la matière, biologie, médecine) ;
  • les sciences humaines, qui concernent l’être humain, son histoire, son comportement, la langue, le social, le psychologique, le politique.

Ceci étant, leurs limites sont floues. Autrement dit, il n’existe pas de catégorisation systématique des types de science. Comme l’expérimentation est la base de la science, que ce soit pour valider les hypothèses ou pour en émettre, le pratique et le théorique s’entremêlent rapidement. De même, fréquemment, on a tendance à confondre le monde théorique (abstrait) et le monde applicatif (concret) que l’on appelle technologie. D’ailleurs, certaines personnes jugent la science sur ses applications et non sur ce qu’elle dit, ce qui est une erreur grossière, mais ceci est un autre débat. Revenons à nos moutons.

Alors, quelles sont les sciences qu’on retrouve le plus fréquemment dans le JdR ? J’avoue avoir eu envie de rédiger cet article en pensant surtout à la physique, la biologie et la chimie, donc plutôt les sciences expérimentales (2e catégorie ci-dessus) mais il est intéressant d’aborder l’ensemble.

La science au service de l’univers

Plus une science structure un univers de JdR et plus sa justification est importante pour les joueurs. L’important n’est pas tant que cette justification soit véritable (sauf si le jeu se prétend réaliste) mais que son postulat soit respecté partout dans le développement du jeu. Ainsi ce dernier gagne-t-il en cohérence et en force narrative. Par exemple, les voyages supraluminiques dans l’espace n’ont aucune chance d’exister un jour dans le monde réel mais si leur exploitation reste logique dans l’univers où ils sont décrits, tout va bien.

Plus le niveau scientifique est proche du nôtre, que ce soit dans le présent ou dans le passé, et plus il faudra être vigilant sur l’impact des connaissances scientifiques sur l’univers SI et SEULEMENT SI, ce thème est important dans le jeu. En fait, ce n’est pas tant la science à laquelle il faut faire attention, mais à sa compréhension par les joueurs. Pour les jeux de science-fiction, c’est fondamental. En fonction du type de SF, c’est d’autant plus important. De manière amusante, quand la période est excessivement lointaine, l’importance décroit. Par exemple, dans Star Wars, Warhammer 40k ou Dune, le traitement de la science est moins important car on suppose que celle-ci dépasse de loin la nôtre. Elle s’écarte tellement de ce qu’on connaît qu’on peut l’apparenter à de la magie. Pour les jeux d’anticipation, clairement, on s’inscrit dans une continuité logique de notre monde. Donc il faut justifier tout ce qui dérive. Ce n’est pas nécessairement complexe, quelques phrases pouvant faire l’affaire. Mais ce peut aussi être un véritable casse-tête.

Pour les jeux contemporains, en général, c’est secondaire car le propos est plutôt l’occulte. On garde nos connaissances scientifiques et notre niveau de technologie. Je ne crois pas qu’il existe aujourd’hui un JdR contemporain mettant au cœur de ses thèmes la science de notre époque. Si vous en connaissez un, cela m’intéresse !

Pour tous les autres jeux (historique, méd-fan, uchronies), on revient à cet écart entre la science et le monde. Pour certaines uchronies, il est très important d’être précis car les joueurs ont besoin de connaître l’écart entre leur niveau de connaissances et celui que leurs persos sont sensés avoir. Alors que pour d’autres, cela sera sans importance. De manière générale, pour tous les univers « steam punk » ou solar punk » ou plus généralement, d’ambiance XIXe siècle ou XXe siècle, il faudra être précis. Pour les jeux historiques, il y a une particularité : se placer avec la science de l’époque. Ceci peut apporter quelques changements dans le jeu.

Dernière catégorie à évoquer, ceux qui n’ont pas de positionnement historique particulier. L’absence de repères donne alors carte blanche à l’auteur pour fixer lui-même le cadre scientifique qui lui importe. Typiquement, mon jeu Exenos se place ici.

Balayage des types de science pour le JdR

Allez, on va se faire plaisir. Quelles sont les sciences que l’on retrouve dans les JdR ? [NB : ce qui suit n’est pas un balayage exhaustif].

Côté sciences exactes, les mathématiques sont presque toujours absentes de l’univers. Je crois qu’il existe un JdR où il est possible de jouer des lignes dans un contexte géométrique en 2 dimensions, bref un truc bien barré. Mais à part ce genre d’OVNI, les maths sont absentes. Pondérons un peu : il y a des clins d’œil ponctuels, comme la croix à 6 branches et la récurrence du chiffre 6 dans la religion de l’Unique dans Esteren. Ce genre de truc se retrouve dans des tonnes de jeux, le but est de jouer sur la symbolique et non sur les mathématiques elles-mêmes. En revanche, les maths prennent une place prépondérante dans la conception des mécaniques de jeu. On les trouve donc ainsi dans la définition des probabilités de réussite et d’échec, et dans l’équilibrage du système. Qui n’a jamais eu de conversation sur les probabilités en pleine partie ou seulement dès l’annonce du type de dé nécessaire pour jouer ? La gestion de l’aléatoire étant au cœur du JdR, il est naturel que les maths s’y invitent.

La physique théorique est très rare en apparence. En réalité, elle intervient plus facilement dans les univers SF, et plus spécifiquement de type space opera avec l’astrophysique (Star Wars, Macross, Mahamoth, The Expanse…). Newton et Galilée avec la composition des mouvements sont naturellement intégrés, les modèles héliocentriques aussi. Comme dans de tels univers, les voyages spatiaux sont généralement possibles, il faut préciser comment cela se fait (supraluminique, subluminique, instantanée, type de carburant utilisé, etc.). On pense tout de suite à la technologie, mais celle-ci s’appuie sur des principes théoriques. La plupart du temps, ils sont le reflet de nos connaissances à une époque donnée. C’est un élément en arrière-plan, en filigrane, mais bel et bien présent. Sans la physique théorique, il n’y aurait point de générateur d’antimatière, antigravité, voyage temporel, dimensions parallèles, ou autres fantaisies pseudo-scientifiques. L’avantage dans le JdR, c’est qu’on peut outrepasser la réalité, mais le cadre doit être posé pour que le jeu puisse se construire dessus. Toujours dans les jeux orientés espace (Star Trek, Omega, Dune, plus les sus-cités et bien d’autres), on va détailler les galaxies, les trous noirs, l’énergie noire ou la matière noire, la gravitation en général, en somme de nombreux concepts poussés dépendant directement d’une physique poussée et complexe. Même dans les jeux purement fantastiques, certains considérations astronomiques peuvent être prises en compte (souvenir d’Arx Fatalis) où le froid est en fait provoqué par un nuage de poussières qui occulte temporairement (quelques centaines d’années quand même) le soleil, tout comme dans Polskar. Ce dernier jeu prend en compte la gravité d’une manière originale et pas mal de sciences expérimentales (géologie, climatologie).

La mécanique quantique possède des particularités très étranges qui la rendent à la fois attirante et extrêmement complexe à comprendre. Le jeu Quantiques propose dans son système de jeu une altération de la réalité reprenant les codes de la superposition d’états des particules. Et l’auteur a poussé le vice jusque dans la description du système où trois versions se superposent dans les pages du livre (avec un code couleur pour que le lecteur puisse s’y retrouver) ! Au MJ de choisir ce qui lui convient.

Passons aux sciences expérimentales. Cette fois, elles sont bien présentes, sous la forme de compétences qui interviennent de temps en temps dans les aventures des personnages. Mais dans la description de l’univers ? Toujours oui, mais indirectement par la technologie ou par la description de l’environnement. Ce dernier point est plus subtil car il traduit l’intégration de considérations scientifiques sans nécessairement les mettre en avant. Quelles disciplines expérimentales trouve-t-on dans les univers de jeu ?

La thermodynamique pour tout ce qui est « punk » (steampunk et assimilés) afin de mettre en place des carburants pour véhicules et machines. A ma connaissance, on n’entre jamais dans les détails. Juste que si on part sur de la vapeur, il faut une source d’énergie et de l’eau. Pour Ecryme, il suffit de se baisser pour en ramasser ; dans Anthéas, c’est un peu la même idée, et il faut chasser la baleine dans Dishonored. Et comme tout ce qui est « punk » est à la mode, on peut même dire que la thermodynamique est bien placée sur le podium des « sciences rôlistes ». Dans le domaine de la physique, citons aussi la balistique, l’optique (ah les lasers ! tellement communs qu’on oublie que c’est une invention récente) ou la résistance des matériaux, ou plus généralement, tout ce qui touche à la guerre.

Avec l’exobiologie et la biologie, les écosystèmes sont conçus pour être un minimum logiques et cohérents afin que les grandes fonctions du vivant s’imbriquent. Tout dépend du temps que les joueurs sont sensés passer à cet endroit. Pour un one shot rapide, on ne s’attarde pas. Pour une campagne, on creusera un peu plus. C’est là aussi que sont étudiés la faune et la flore par les personnages de l’univers du jeu (avec des herbiers, des écorchés, des empaillements, des expériences, etc.). C’est un terreau fertile pour les savants, même fous. En plus, l’exobiologie est à la mode donc beaucoup de joueurs ont quelques notions avancées en biologie et/ou en astronomie. Mais il existe des jeux à vocation écologique, et toute la science du vivant y sera bien présente avec notamment la théorie de l’évolution (mutations et adaptation des espèces).

Côté chimie, il faut reconnaître que c’est un peu pauvre. Indirectement, il y aura le bricolage à la « Mac Gyver » où le joueur bricolera une bombe artisanale avec trois fois rien. Non, c’est l’alchimie qui tient le haut du pavé dans ce domaine, alors que ce n’est pas une science. Elle est utilisée dans une multitude de jeux, oscillant entre la science et la charlatanerie (Nephilim).

Faisons un crochet du côté de la robotique et de l’informatique. Ces deux sciences sont récentes dans l’histoire humaine mais totalement prépondérante dans nos sociétés modernes. Et bien entendu, elles se retrouvent dans nombre de jeux de rôle. On peut citer Cyberpunk, Omega, Shadowrun… L’une comme l’autre dépendent d’énergie pour fonctionner et naturellement, l’électricité et l’électronique s’ajoutent pour compléter le tableau.

Dans les jeux traitant d’époques révolues ou d’uchronies, on va trouver les vieilles idées scientifiques qui ont été rejetées plus tard. L’éther est ainsi présent dans Space 1889, ce qui autorise les déplacements interplanétaires. La théorie de la Terre creuse est exploitée dans Hollow Earth Expedition et Aventures dans le Monde Intérieur, ou même dans Nautilus (preuve du charme que génère cette idée).

Pour tous les jeux historiques, il y aura un réel effort afin de replacer le contexte correct. Il est facile de réaliser des anachronismes. Cela devient encore plus ardu quand il y a un mélange de science « réelle » (la nôtre) et de science « fantastique » (imaginaire). Gérer la bascule entre réel et fantastique est troublant pour certains joueurs car ils distinguent mal ce qui est vrai et ce qui faux. De fait, la distinction entre réel et fantastique n’est à la portée que d’un joueur possédant un minimum de bagage scientifique.

On termine le tour d’horizon avec les sciences humaines. Plus accessibles à tout un chacun, on les retrouve plus fréquemment dans la conception des univers. Le plus bel exemple est la géographie. La conception de cartes de mondes fantastiques ou d’évolution post-apocalyptique de notre monde doit respecter des règles répondant aux besoins physiologiques de leurs habitants et aux règles de la nature. Tout auteur de JdR qui crée un monde devient un peu géographe malgré lui. Vous pouvez d’ailleurs consulter les conseils sur ce blog pour la création de cartes pour un monde fantastique.

Rebelote avec l’histoire. Il est rare qu’un JdR soit écrit dans un monde sans histoire. Elle ancre l’univers. Il faut raconter comment les éléments se sont produits, de manière logique, en répondant aux motivations des acteurs historiques. Dans le livre, on trouva ainsi une chronologie des événements importants et des éléments historiques pour les PNJ et lieux importants.

L’économie s’invite dans la conception d’un jeu lors de l’établissement de l’échelle de valeur des biens et services face aux revenus. Que ce soit avec une monnaie (la plupart des JdR), avec un troc (Vermine, Würm) ou tout autre système (Omega), les échanges doivent être pensés. Un JdR sans commerce du tout est exceptionnel. En gros, dès qu’il y a des sociétés humanoïdes, il y a un système économique qui doit tenir debout. Et pour les autres, dès qu’une société est structurée, on retombe sur un commerce. Quels jeux évacuent complètement l’économie ? Spontanément, je citerais La Couvée, mais je l’ai pas encore lu en détails pour garantir cela.

Pour la politique, cela devient plus ardu. Parce que les auteurs ont des volontés et une compréhension habituellement limitée (nous ne sommes pas des spécialistes du tout !), la politique et la géopolitique des JdR sont vite balayées par « j’ai écrit ce qui me faisait plaisir ». Notons que cela marche très bien dans une très grande majorité de cas. C’est assez rare qu’on se dise : « oh là non, c’est complètement débile que telle nation/diplomate/dirigeant agisse ainsi ». Idéalement, je serais intéressé par l’avis d’un rôliste versé dans la diplomatie ou la politique. Notons tout de même que, pour un auteur, une bonne technique pour éviter de dire n’importe quoi en politique est de s’inspirer de notre propre histoire.

La science au service de la narration

Passons maintenant à la science en partie. Est-ce que c’est facile à mettre en œuvre ? Globalement, non. Il faut que le meneur ait de réelles connaissances dans les sciences qu’il exploite et de préférence être plus calé plus que ses joueurs. Sinon, il peut avancer quelque chose qui sera contesté et cela risque de provoquer une rupture d’immersion. Heureusement, le MJ a l’avantage d’avoir le livre de JdR sous le coude sur lequel s’appuyer et donc une sorte de bouclier aux objections légitimes ou non des joueurs. Car la science qui intervient ici n’est pas nécessairement la science « réelle », mais peut tout à fait être la science « fictive » du jeu. De plus, comme le MJ structure le cadre de la partie, si certaines libertés (volontaires ou non) sont prises par rapport à l’univers, ce n’est pas nécessairement grave.

La théorie de l’évolution ou la théorie de la dérive des continents peuvent alimenter d’intéressants débats en roleplay dans « L’appel de Cthulhu » par exemple. Mais ces sciences n’ont pas été pensées sciemment lors de la conception des univers. C’est l’époque qui les amène directement. La dérive des continents n’a aucun intérêt dans un jeu car son temps d’action est bien trop long.

J’ai eu quelques cas tordus ainsi pendant la campagne d’Exenos. Un joueur était clairement un scientifique tandis qu’une joueuse non et que les autres étaient dans un entre-deux. Il a parfois fallu expliquer certains concepts avancés, comme l’antimatière comme source d’énergie. Les 15 minutes nécessaires à la bonne compréhension par tous ont cassé l’immersion sur le moment dans la session mais l’ont renforcée à long terme par une meilleure compréhension de l’univers.

En jeu, les sciences humaines comme la politique ou l’économie se cachent presque toujours derrière des jets de dés des compétences adéquates. L’histoire peut éventuellement donner lieu à des scènes de roleplay si les joueurs en savent assez sur la période du jeu. Disons-le clairement : dans la grande majorité des cas, comme il s’agit d’univers fantastiques, cette science sera mise en place avec des jets de dés aussi. Il est plus fréquent d’avoir du roleplay dans les jeux contemporains et proches de notre époque.

La psychologie alimente la narration de manière plus intéressante. Eh oui, c’est ici qu’on range les troubles mentaux. Cette fois de nombreux JdR ont développé des liens avec la santé mentale, à commencer par le célèbre Appel de Cthulhu, mais aussi Esteren, Summerland, Museum, Tainted Grail par exemple. Sans compter tous les jeux faisant intervenir des tares/désavantages affectant la personnalité dans la création du personnage. Cependant, bien aborder les troubles mentaux nécessitent de réelles connaissances en psychiatrie, et là, ce devient très compliqué d’être dans le ton. D’autant plus qu’on entre dans la définition dérangeante de l’anormalité. Les joueurs sont le plus souvent incapables d’interpréter correctement les troubles mentaux (et c’est normal) et rester simple est une excellente approche.

Conclusion

Comme on l’a vu, un jeu présenté comme « scientifique » intègre principalement des sciences expérimentales comme la physique et la biologie dans son univers. Les autres sciences sont soit absentes soit non considérées comme telles. Cela ne veut pas dire qu’elles n’existent pas. Bien au contraire, on les trouve la plupart du temps sous forme de compétences de connaissances dans la feuille de perso. La mise en œuvre de la science en partie est sans surprise directement dépendante des connaissances des joueurs. Cela lance souvent des débats ou des conversation animées, très intéressantes mais rompant malheureusement le rythme de la session, sauf si cela est fait en roleplay ce qui est plus rare. Quoiqu’il en soit, on constate que la science dans le JdR est bien là et que, sans elle, bien des univers perdraient de leur saveur.

Pour aller plus loin :

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