Aventures dans le Monde Intérieur

Avec ma table, nous avons récemment testé le jeu de rôle Aventures dans le Monde Intérieur, édité par Ludopathes. Nous sommes en 1888 sur Terre, voire dans la Terre. En effet, A.M.I. (pour les intimes) reprend l’idée de la terre creuse et revendique le roman Voyage au centre de la terre de Jules Verne comme inspiration. A titre personnel, je trouve qu’il y a également beaucoup d’inspiration venant du dessin animé Les mondes engloutis. Notre globe est donc creux, abrite océans, forêts étranges, cavernes dantesques, faune improbable et même civilisations diverses. Il s’agit donc d’un jeu d’exploration et de découvertes dans le monde du Dessous.

Tout le contexte présenté dans le livre de base est un vrai plaisir à lire. Présenté comme une initiation à de nouveaux membres de la fondation Arcadia consacrée à l’exploration du Dessous et à sa protection contre les vils intérêts du Masque Noir, il fourmille d’éléments suggérant des aventures passionnantes. L’histoire du monde, sa géographie, son climat et surtout ses civilisations sont abordées. Car tout l’intérêt de parcourir ces contrées inconnues réside dans les rencontres que l’on peut y faire et l’établissement de contacts pour comprendre leurs richesses. Celles-ci consistent en des legs de leurs lointains ancêtres, les Atlantes, et ils intéressent très fortement les civilisations du Dessus. Il faut noter qu’à la diversité des civilisations héritières des Atlantes s’ajoutent des races non humaines comme les Ophidiens ou les Formoriens. En somme, A.M.I. fournit un globe entier à explorer en 3D, le tout dans une époque en pleine révolution industrielle. Autant dire que les possibilités de scénarios sont nombreuses et on se frotte les mains à la lecture. La maquette du livre est agréable, elle manque parfois un peu d’illustrations pour bien visualiser les merveilles décrites, mais globalement, tout va bien.

Côté système, par contre, on déchante. D’apparence simple, il patauge à l’exécution. Tout d’abord, il se base sur 3 D6 et il faut faire plus de 10 pour réussir. Les compétences ne fournissent pas un score à ajouter, mais éventuellement un bonus ou bien carrément un D6 en plus à ajouter au lancer. Autant dire que les compétences sont très intéressantes et marquent fortement les personnages, et c’est tant mieux. Des malus/bonus permettent ensuite d’adapter les tests à la situation. Là où le système pèche, c’est dans une visible volonté de symétrie dans la distribution des compétences. A l’usage, on s’aperçoit qu’il y a des oublis (en partie comblés par le premier supplément !) et qu’il manque de souplesse face à la diversité des situations de jeu. Cela nous a valu de nombreuses discussions en jeu pour savoir à quelle compétence rattacher tel ou tel test. Si cela n’a rien de surprenant en jeu de rôle, avec A.M.I. il y en a eu clairement trop, avec pour conséquences de ralentir le rythme et de briser l’ambiance. Les personnages pré-tirés fournis dans le livre ne collent pas non plus parfaitement aux règles de création exposées juste avant, ce qui est un peu troublant. Je considère que les pré-tirés sont un exemple de ce que les règles permettent de faire, pas une exception. En revanche, côté couleur locale et background, je les ai trouvés intéressants. On notera qu’on peut aussi bien jouer un personnage de la Surface ou un natif du Dessous. Et justement, il y a un bémol ici, j’y reviens un peu plus loin. Par ailleurs, A.M.I. va loin dans certains aspects qui sont plutôt en rares en JdR : le combat de masse par exemple ou la gestion du moral. Le combat de masse est rare tout court et il peut être intéressant d’en mettre en scène une fois de temps en temps, en gardant à l’esprit que c’est le genre d’événement sur lequel les PJ ont quasiment aucun impact. Pour le moral, il est omniprésent : dans la gestion d’une colonie, dans la gestion des personnages et de leur groupe de suivants, etc. Il s’accompagne de malus qui compliquent la situation. Techniquement, c’est logique. En pratique, je trouve difficile de sans cesse ajuster ces valeurs très circonstancielles pour chacun des personnages. On peut parfaitement gérer à la louche un modificateur de difficulté situationnel sans entrer dans les détails.

Le livre s’achève sur un gros scénario d’introduction en trois actes. De fait, il nous a fallu trois séances pour en venir à bout. Globalement, il fonctionne bien. Cependant, je le trouve un chouia trop linéaire : difficile d’occuper 5 joueurs tout le temps. Certaines phases se contentent parfaitement d’un ou deux personnages qui mènent ensuite à la phase suivante qui peut à son tour ne nécessiter que quelques personnages. Il est prévu pour être joué avec les personnages pré-tirés du livre. Et là, il y a un gros bémol. L’un d’eux est un natif du Dessous avec une monture du Dessous également (un genre de scarabée géant). Impossible d’intégrer la monture à Londres, ni même qu’elle rejoigne le personnage plus tard dans le scénario. Ce personnage doit donc tout simplement se passer de l’une de ses facettes. Heureusement, cela n’est nullement gênant pour le déroulement complet du scénario.

L’époque pose des difficultés autour de la position de la femme dans la société. Comme à ma table, je préfère que les joueurs interprètent des personnages de leur sexe, j’avais tout de même trois femmes dans le groupe. L’une d’elle a dû changer de sexe en cours de route : impossible d’avoir une femme dans l’armée, qui plus est gradée, en 1888 ! Il a fallu édulcorer aussi le statut des femmes au sein même de la fondation Arcadia où celles-ci sont en principe tenues à l’écart des discussions importantes ! Pour bien se mettre d’accord, en 1888 de notre monde, c’est tout à fait normal, c’est-à-dire historiquement, la femme de cette époque est considérée comme une mineure à peu de choses près. En 1888 dans A.M.I., interprété avec des joueurs et des joueuses de notre siècle, ça devient embêtant. Il faut pouvoir jouer des personnages féminins. L’auteur en avait conscience et a prévu le coup… mais pas assez. Attention donc aux tables avec des féministes, il peut y avoir du mouvement !

La gamme souffre actuellement d’un financement participatif douloureux : le 3e supplément est à l’agonie depuis des années et ne sortira probablement jamais (ou en tout cas pas avec le même éditeur). De manière générale, A.M.I. propose d’établir des colonies dans le Monde Intérieur et même de gérer leur développement. On se rapproche des jeux vidéos (SimCity like). La plupart des scénarios publiés souffrent du même travers : on part toujours de la Surface pour finir Dessous. Cela manque clairement de scénario d’expéditions montées directement en bas. Deux conséquences : il y a une sorte d’arnaque entre l’intitulé du jeu et ce que l’auteur propose réellement d’une part et d’autre part, les personnages de la Surface sont nettement avantagés pendant l’essentiel de la partie puisqu’une phase assez longue est consacrée à dégoter l’accès au Monde Intérieur. Il n’y a alors qu’une seule alternative : il faut écrire soi-même les scénarios et comme on l’a vu le livre ne manque pas de contexte pour cela.

Bref, A.M.I. gagne à être joué car l’univers fait travailler l’imagination par sa différence et la manière dont il est raconté. Il offre des aventures sociales, des explorations et des moments plus « pulp » à la Indiana Jones.

PS : un autre jeu de rôle se place en concurrent direct d’Aventures dans le Monde Intérieur, il s’agit d’Hollow Earth Expedition. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’y jouer, mais grosso modo, c’est très similaire. Par contre, l’époque n’est pas la même : H.E.X. a lieu dans les années 1930 et les personnages font face aux nazis (dont le Masque Noir d’A.M.I. est proche).

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